colporteur Général

Cette chanson, une des plus vieilles du répertoire piémontais, raconte l'histoire d'une jolie bergère endormie à l'ombre d'un arbuste et d'un beau Français qui passe par là. Bien entendu le Français se montre très galant, proposant de transformer son manteau bien chaud en couverture pour mettre la bergère à l'abri du froid, au cas où elle aurait de la fièvre. Mais cette jeune fille veut rester fidèle à son berger qui la fait si bien danser au son de sa viole et elle invite le joli Français à continuer son chemin.

Toutes les vallées du Canavese ou occitanes ont gardé ce chant en mémoire. Certains souhaitent même qu'il devienne l'hymne officiel du Piémont. Comment une petite histoire d'amour pourrait-elle devenir l'emblème d'une région ? C'est que les paroles ont sans doute été écrites avec une arrière pensée politique. C'était l'époque où les troupes françaises faisaient régulièrement des incursions dans le royaume de Piémont-Sardaigne, une époque où Nice et la Savoie n'étaient pas encore françaises. Ces régions montagneuses vivotaient un peu endormies comme la belle bergère et cette chanson les incitait à rester tournées côté Péninsule pour danser gaiement plutôt que rechercher la protection côté Hexagone. On peut donc l'écouter comme  une invitation au patriotisme !

Il se peut aussi que ce soit simplement pour donner en exemple une jeune fille qui reste fidèle à son berger. En tout cas dans notre famille, les choses ne se sont pas passées exactement comme dans la chanson. La tradition familiale n'a jamais précisé si  notre aieule avait déjà un ami berger qui la faisait danser, ni si elle était endormie quand le beau Français est arrivé, toujours est-il qu'elle s'est laissée séduire par lui ! Mais que lui a-t- elle trouvé de plus que les Piémontais pour en faire son époux ? Qui était-il ? Que venait-il faire dans ce village perdu au milieu des bois ?

Ce qui semble probable, c'est qu'il venait des environs de Chambéry. Les environs de Chambéry peuvent-ils aller jusqu'à Pralognan ? Cela nous permettrait d'avoir un ancêtre pralognanais...Revenons à la presque réalité. Il se serait nommé Matthieu et comme il venait de l'autre côté des Alpes, pour bien le signifier, on l'appela "Matthieu da Francia". Il faut croire que déjà à cette époque le temps était un bien précieux, car on abrégea bientôt ce nom un peu long à dire en "Matthieu da". Ce qui après quelques déformations de langage, finit par donner son patronyme définitif : "Mattioda".

Savoir ce que le beau Matthieu venait faire à Sant'Anna est une question beaucoup plus délicate et la réponse est incertaine. Pour certains, c'était un maquignon qui venait vendre en Italie des vaches françaises. Pour rester dans le registre du commerce, d'autres le voient colporteur. Ces deux versions sont vraisemblables, car il y eut toujours beaucoup d'échanges entre les deux pays, grâce au col du Mont-Cenis. Les plus orgueilleux,se fiant aux recherches des Mormons, lui attribue le titre prestigieux de "Général de François 1er". Ce vaillant militaire aurait été envoyé en Italie pour prélever les taxes des vaincus après les guerres d'Italie. Mais tombé sous le charme de la jeune et jolie "Boscarina", il aurait oublié de rentrer en France et de remettre le montant de la collecte au Roi, ce qui aurait permis au jeune couple de commencer aisément leur nouvelle vie. Les ennemis de la famille, ou les envieux, osent prétendre qu'il n'était qu'un voleur, venu se réfugier au fond des bois avec son magot pour échapper à la justice de son pays. Cette version peut d'ailleurs se rapprocher de la précedente car le général apparait aussi comme un scélérat ! Comme l'a dit un autre Italien, Pirandello : "A chacun sa vérité " !

Pour passer de la chanson d'amour aux contes de notre enfance, on peut conclure : "Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants ". En effet, la bergère avait une solide constitution, elle mit au monde 12 enfants bien portants. les rejetons imitèrent leurs parents, et bientôt il y eut une foule de petits "Mattioda" autour de Sant'Anna-I Boschi pour la plus grande joie des généalogistes qui trouvent dans les arbres de nombreuses Demoiselles Mattioda mariées à des  Messieurs Mattioda. Sans doute, une petite dose de consanguinité, comme il n'était pas rare dans les zones montagneuses autrefois.

Toujours est-il qu'à ce rythme, leur patronyme se répandit très vite et qu'on trouve aujourd'hui, dans le monde entier, 1277 descendants qui portent ce nom de Mattioda